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Hind El Karout, la vie sur un fil d’or

Il était une fois une jeune femme, née au Pays du Cèdre mais citoyenne du monde, dont l’intelligence seule semblait égaler la beauté. Éduquée dans les meilleures écoles, elle rêvait de s’accomplir, pour que son défunt père en soit fier, poursuivant une quête quasi-philosophale, la réalisation jamais atteinte du fil d’or pur parfait.

J’ai toujours été fascinée par les belles matières, par les bijoux aussi, je tiens ça de ma mère. Souriante, affable, Hind El Karout me reçoit dans ses bureaux avec vue imprenable sur le Rocher et le port de Monaco. D’une élégance impeccable, avenante, je la devine affairée mais elle n’en laisse rien paraître. Son regard seul exprime une acuité concentrée. Ce qui finit de m’impressionner un peu plus. Je hasarde en préambule une question sur Hillary Clinton, alors supposée aux portes du pouvoir. C’est une femme, bien sûr, mais surtout une personne sur qui fonder un espoir. Réponse formulée avec l’assurance non péremptoire d’une personnalité qui semble construire sa vie entre force de caractère et sensibilité créative. Un bel équilibre palpable entre fibre d’entrepreneur et culture humaniste, héritage familial sans doute. De fibre, il sera d’ailleurs beaucoup question dans cet entretien.

Plus jeune, je portais une bague avec diamant et j’essayais de l’associer à de la dentelle, que j’avais même fini par déformer, se souvient-elle amusée. C’est là, il y a 12 ans, que l’idée m’est apparue d’une dentelle-bijou entièrement en fil d’or. Bien sûr, il existe déjà quantité de fils recouverts d’or mais Hind El Karout découvre qu’aucun n’a jamais été réalisé en or massif dans l’histoire séculaire des métiers d’art et de la joaillerie. Cette quête d’un rêve réputé inaccessible va occuper 10 ans de sa vie. J’en parlais en permanence, mon entourage, mon mari lui-même me disaient “encore cette histoire de fil d’or !” Un mari qui, aujourd’hui, occupe pourtant une place essentielle dans l’aventure de la Maison HRH, la marque que Hind a fondée. Il est un vrai chef d’entreprise, c’est lui qui m’a aidée à tout structurer, je lui dois beaucoup.

La quête du Graal au fil d’or conduit alors la jeune femme chez un prestigieux joaillier parisien qui avoue son impossibilité à matérialiser le rêve mais lui donne ce qu’elle considère comme l’un des meilleurs conseils qu’elle ait un jour reçus : chercher une dentelière. Le métier est noble mais le savoir-faire a presque totalement disparu. Le dernier fil qui relie Hind à cette tradition française – mais aussi libanaise – s’appelle Mylène Salvador. Pour elle qui enseigne au Musée de Bayeux, la dentelle aux fuseaux n’a aucun secret. La Belle au bois dormant est sur le point de s’éveiller. Avec l’aide de Mylène et de sa fille, experte en dentelle à l’aiguille, Hind El Karout se lance dans une série de prototypages comme un parcours initiatique. Le fil doit être fin mais solide, le motif sophistiqué mais la dentelle, douce au toucher. Le processus échoue, échoue encore, échoue mieux, comme le conseillait Beckett. Jusqu’au jour où le miracle s’accomplit : le fil est au point – sa fabrication restera secrète – et le dessin originel que Hind El Karout avait un jour tracé sur une page blanche peut prendre vie sous la forme d’une extraordinaire manchette en dentelle Chantilly Napoléon III au fil d’or pur réhaussé de diamants. Pièce unique, désormais disponible sur commande, alliance entre haute couture et haute joaillerie. Comme dans une nouvelle de Jorge Luis Borges, le dessin originel sert de plan créatif au développement de cette Maison dont Hind a rêvé. Il peut m’arriver de suivre la tendance mais je préfèrerais apporter à la tendance. Le fil est solide à présent et conduit la créatrice, formée au prestigieux GIA (Gemological Institute of America) et directrice artistique de HRH – nommée ainsi par déférence pour son père, Rafik Hariri, sa terre princière d’adoption et ses futurs clients – à enchaîner avec une apparente évidence belles rencontres et créations exceptionnelles.

Telle cette bague baptisée The Rose of Hope, fruit d’une rencontre avec une joaillière, nouveau signe du destin. Elle est venue au rendez-vous avec une petite rose en cire. Elle ne pouvait pas savoir que Delbard avait dédié une rose à mon père, devenue pour nous symbole de pureté.
Je pourrais parler de l’étonnante clairvoyance de Hind, sa détermination, son sens du travail – nous sommes une start-up mais nous avons beaucoup travaillé en amont – sa capacité à s’entourer des meilleurs, pour le marketing, la production, sa volonté sereine de rester indépendante. Une chose apparaît, plus forte encore, le pressentiment que la Maison HRH doit devenir un instrument de pouvoir, non à des fins égoïstes mais pour faire le bien et, sur le fil entre force et délicatesse, répandre la beauté, la vraie, celle du cœur.

hrh.com

Initialement publié dans Marie Claire Méditerranée